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The Roots

Kader Attou

2014

      La splendide salle du XIXe siècle de l'Opéra Comédie se remplit peu à peu. Sous les dorures, les décors peints et le grand lustre, je prends place dans un confortable fauteuil rouge, au rez-de-chaussée. Tous les balcons et sièges sont pleins, d’ailleurs les trois représentations de The Roots, spectacle chorégraphié par Kader Attou sont complètes.

La lumière faiblit et l’imposant rideau se lève…

Sur scène le décor est minimaliste, seul un fauteuil bancal et un petit meuble avec un tourne-disque trône dans un coin. Assis, face au public, un danseur débute la danse par des mouvements ondulatoires partant des bras. Profitant de l’obscurité, les onze autres hommes ceux sont alignés au fond de la salle, la lumière les révèle et telle une vague ils s’avancent, pour disparaître à nouveau.

Puis, c’est un véritable flot d’énergie durant une heure et demi. Les gestes et la musique tour à tour électronique ou classique se répètent, formant un mélange étonnant, parfois déroutant. L’ensemble de cette œuvre est à temporalités variables, presque un contretemps entre la danse hip-hop des années 80 et la danse contemporaine actuelle. Toutes les influences du chorégraphe fusionnent, pour revisiter l’histoire de la danse de rue.

Difficile de décrire tous les mouvements, tant il y en a, la multitude des gestes ressemblent à des gouttes d’eau, des jets, un ruissellement, une rivière… Les mouvements de ces corps presque élastiques, sont par moment ralentis, devenant hypnotique ! L’apesanteur de cette chorégraphie, fait oublier la technique de danse, pourtant très présente et parfaitement exécutée.

La dynamique de ce spectacle est tourbillonnante, les corps tournent sur eux-mêmes, courent en cercle, voltigent en roulade. En réponse, un petit meuble se déplace seul et se met lui aussi à tournoyer.

D’un coup, un silence de quelques secondes : moment de répits dans ce spectacle intense où le plancher craque sous les pas des danseurs.

The Roots est une œuvre totale, où les objets et la lumière font partie de la danse ! Au fil des enchaînements, une grande table, des chaises, un canapé biscornu et une lampe apparaissent sur la scène. Ce salon recomposé sert de support aux danseurs, puis il s’anime et se déplace dans l’espace. Une dizaine de danseurs recouvrent inlassablement le grand canapé, le mouvement est fluide et continue à l'image d'une vague. Tous ces objets semblent échoués, en glissant sur le sol comme des débris flottant sur l’eau. Cette ambiance teintée d’un gris brumeux, semble irréelle, surréelle, est-ce un rêve ?

Un aparté étonnant où un homme donne le tempo avec des claquettes. Au fur et à mesure, l’ensemble de la compagnie est regroupée sur la table. Les bras s’articulent, les corps forment une masse unie, presque chimérique. Les meubles d’un salon étalés dans l’espace, des hommes entassés sur une épave, certains s’échouent et tombent du navire… avec l’impression de revoir le tableau romantique le Radeau de la méduse de Théodore Géricault (1819) ! Pont entre les danses, entre les arts, Kader Attou se situe au delta du hip-hop, regroupant les influences, les surprises et les interprétations pour donner à voir une mer à la fois calme et tumultueuse. Le tout avec une pointe d’humour lorsque qu’un danseur fait une glissade au milieu des autres, est-ce devenu un poisson qui se jette dans l’eau ?

Le final est simplement époustouflant !

Après une longue standing ovation, la foule sort doucement, comme abasourdie par tant d’aisance. Ce songe éveillé prend fin dans le hall, au pied de la sculpture originale des Trois Grâces, là ceux sont trois femmes qui tourbillonnent depuis deux cents ans, l’eau n’étant jamais bien loin…

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