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De l'informe vie...

François Chaillou

2015

      En quête de sa forme, l’empreinte du visage est saisie avec le plâtre encore frais. Les yeux clos et la bouche fermée, la peau subit le poids de la matière qui la couvre, la recouvre jusqu’à effacer toutes traces d’air et de jour. Chacune des pores sont bouchées sans mouvement, ni respiration, le modèle emprisonné dans le noir espère sa délivrance. L’immersion paralysante donne naissance à l’oeuvre.


L’attente, ce temps en suspension, efface les émotions pour s’approcher doucement de la finitude. Souvenir d’un être, les imagines maiorum de l’antiquité romaine, traduisent le passage de l’organique à la mort. Ces masques mortuaires se situent au croisement et à l’union entre Eros et Thanatos. A travers cet état transitoire, François Chaillou se glisse dans l’interstice pour révéler une disparition en devenir, un éphémère immortel. La prise sur nature se libère et respire avec les gestes de l’artiste qui remodèle les contours en terre. La figure figée, fantôme d’elle-même, se réanime sous la tendresse des doigts. Le sculpteur devient modeleur, le moulage évolue en modelage, la copie se transforme en interprétation. Par essence, ce processus crée un écart avec la réalité accentué par la modification de certaines lignes d’expression et par l’occultation des détails du grain de la peau. Ces têtes fixent inlassablement le spectateur sans le regarder. Installées sur un piédestal en bois, ces figures sereinement endormies révèlent toute l’agitation et la turbulence intérieure des sentiments humains. Ce face à face troublant, presque inquiétant renvoie simultanément aux tourments personnels et à l’universalité des questions existentielles.
Symbiose des éléments, ces sculptures au rêve éternel s’éveillent par la nature. Usnea fastigiata associe une fine peau délicate à la force expansive du lichen. Cette mousse prolifique colonise le visage, entre domination et harmonie ce méandre engendre des pulsations végétales. Effet de lumière en transparence, le masque de cire s’irrigue de lignes et de vaisseaux naturels. Cette forme de vie renait du néant par une élévation ambivalente annonçant le tropisme de la plante et celle de l’esprit. Par l’expérience de la matière, le masque au visage évidé se remplit par la présence des végétaux cueillis dans le paysage, l’un est indissociable de l’autre. Au fil de plusieurs étapes, la sculpture s’invente à l’aveugle avec l’invitation du hasard. Le moule creux accueille la cire fondue puis l’artiste travaille sa pièce sans la voir, il ajoute le lichen informe pour composer une forme humaine. La trace de la création se délivre enfin du support. À l’image de la naissance, où l’enfantement est la première rencontre avec le nouveau-né, retirer le moulage est l’instant de ce premier contact inattendu avec l’oeuvre. Cette série que l’artiste apprend désormais à connaître est une mise en abyme de la vie…

 

 

Site  artiste : www.francois-chaillou.com

Exposition "AEquivocus", 10 octobre - 07 novembre 2015, Galerie Particulière, Paris

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